Crim. 13 février 2024, n°23-83.830

Non encadré par les textes, le délai dans lequel le juge d’instruction verse au dossier les pièces de procédure établies sur commission rogatoire constitue une difficulté quotidienne pour les personnes mises en examen et leur défense.

Il n’est pas rare pour les avocats de se trouver dans la situation absurde où des pièces dont les enquêteurs, le juge et le parquet tirent des éléments à charge ne figurent pas au dossier, faisant ainsi obstacle à leur examen par la défense.

Saisie d’un pourvoi contre un arrêt refusant d’annuler une mise en examen décidée malgré l’absence au dossier d’éléments jugés déterminants par la défense, la Chambre criminelle écarte le moyen présenté.

Elle confirme d’abord que le silence gardé par l’intéressé dans le cadre de son IPC n’exclut pas une éventuelle irrégularité liée au caractère incomplet du dossier, contredisant sur ce point la Chambre de l’instruction et réaffirmant sa propre jurisprudence (Crim. 11 mai 2021, n°20-86.182 et 20-82.415).

Elle considère ensuite que le versement postérieur à l’IPC des pièces relatives à une sonorisation mettant en cause le requérant n’est pas irrégulier dès lors que :

•        Ces pièces ne figuraient pas non plus dans le dossier détenu par le juge d’instruction.

•        Les éléments à charge résultant de ces pièces « ont tous été portés de manière explicite à la connaissance » de l’intéressé durant sa garde à vue.

Admettant implicitement que les pièces visées étaient effectivement déterminantes pour la mise en examen du requérant (en soulignant qu’elles « permettaient le constat [de sa] possible implication »), la Chambre criminelle juge malgré tout suffisamment contradictoire la mise en examen décidée sans que l’avocat ait pu les examiner.

Les questions posées en garde à vue, avec ou sans présence de l’avocat, au cours d’auditions possiblement longues et répétées durant 96 heures, sans aucun accès aux procès-verbaux eux-mêmes, seraient donc suffisantes pour mettre la personne en mesure de se défendre et satisferaient aux exigences du procès équitable et de l’égalité des armes.

Omniprésentes dans l’appréciation des éléments à charge par un juge d’instruction informé en temps réel des investigations (en particulier durant la garde à vue) mais absentes du dossier et donc inexploitables pour la défense, ces pièces peuvent être tenues hors du champ du contradictoire sans véritable encadrement.

Il est alors possible non seulement de mettre en examen mais également de solliciter, requérir et ordonner la détention provisoire sur la base d’éléments issus de pièces non versées au dossier !

La seule limite fixée par la Cour de cassation est celle de la « déloyauté » du juge d’instruction qui détiendrait une pièce sans la communiquer à la défense.

Les termes employés suffisent à interroger : là où la simple connaissance par le mis en examen des éléments à charge retenus contre lui suffit à lui permettre de se défendre, seule la détention par le juge d’instruction des pièces de procédure lui impose de les soumettre au contradictoire.

La conséquence concrète de cette distinction est évidente. N’étant soumis à aucun délai et à aucune obligation, le juge d’instruction peut solliciter du service d’enquête des retours de commission rogatoire partiels qui excluent de leur champ tel ou tel élément.

Il a ainsi tout loisir de choisir, parmi les pièces établies sous son contrôle, celles qui seront versées au dossier ou au contraire maintenues hors d’atteinte de la défense.

S’il ne peut interroger la personne présentée devant lui sur ces éléments ne figurant pas au dossier, il peut en revanche la mettre en examen en les prenant pleinement en compte sans que la défense ait pu les examiner, en vérifier la régularité ou la valeur probante.

Il est alors fréquent pour l’avocat dont le client a été mis en examen sur la base d’éléments que les procès-verbaux de synthèse présentent comme accablants (déclarations d’un tiers, écoutes, documents saisis en perquisition…) de n’avoir accès à ces pièces que des mois plus tard et de découvrir qu’elles contiennent en réalité des éléments à décharge : la personne auditionnée s’est contredite, les écoutes révèlent une information jusque-là ignorée, les documents confirment un alibi…

Si l’avocat pourra naturellement les faire valoir au cours de l’instruction, il a cependant été empêché de le faire en temps utile, privé d’éléments cruciaux pour plaider contre la mise en examen ou le placement en détention provisoire.

Le caractère contradictoire de l’information judiciaire, qui découle théoriquement du libre accès au dossier prévu aux articles 114 et 116, reste donc largement soumis au pouvoir du juge d’instruction.

A la fois architecte et horloger, celui-ci délimite le périmètre du dossier accessible aux parties et détermine seul le délai durant lequel, faute d’accès contradictoire à l’ensemble des pièces, l’instruction ne pourra être véritablement à charge et à décharge.