Crim. 2 mai 2024, n°24-80.847 et 24-80.848

Au stade de l’instruction comme à celui du jugement au fond, l’opportunité pour la défense d’interjeter appel d’une décision jugée insatisfaisante est bien souvent soupesée avec prudence.

Risque d’aggravation, succès incertain, perte de temps et coût financier : les aléas sont nombreux et dissuasifs.

Si l’hypothèse d’un appel formé à titre conservatoire, quitte à s’en désister ultérieurement, peut apparaître séduisante, la jurisprudence de la Chambre criminelle rappelle que les conséquences procédurales de l’appel sont nombreuses, en particulier pour les personnes placées en détention provisoire.

Saisie de deux pourvois formés dans des conditions similaires, la Cour de cassation a ainsi été amenée à préciser la nature et les conséquences sur la détention provisoire de l’appel formé contre une ordonnance de mise en accusation en répondant à la question suivante : l’appel hors-délai - et donc irrecevable - produit-il tout de même des effets ? (Crim. 2 mai 2024, n°24-80.847 et 24-80.848).

En principe, l’accusé doit comparaître devant la cour d’assises dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle l’ordonnance est devenue définitive (délai réduit à six mois en cas de renvoi devant la cour criminelle départementale), conformément aux articles 181 et 181-1 du code de procédure pénale.

Le délai de détention provisoire après clôture de l’information est donc en principe d’un an et dix jours.

C’est en application de ces textes que, dans les affaires étudiées, la chambre de l’instruction avait ordonné la remise en liberté immédiate des accusés qui n’avaient pas comparu devant la juridiction de jugement dans les délais légaux.

Le raisonnement paraît limpide : l’ordonnance de mise en accusation est rendue le 23 novembre et devient définitive le 5 décembre 2022, faute d’appel formé à cette date. L’accusé aurait donc dû comparaître devant la cour d’assises avant le 5 décembre 2023 et doit, à défaut, être remis en liberté.

Le raisonnement est pourtant censuré par la Chambre criminelle, qui annule l’arrêt et redonne effet au mandat de dépôt en s’appuyant sur un élément trop vite écarté par la chambre de l’instruction : l’appel formé par l’accusé le 15 décembre, soit largement hors-délai.

Si la chambre de l’instruction avait estimé que cet appel ne devait emporter aucune conséquence puisqu’intervenant alors que l’ordonnance avait déjà acquis un caractère définitif, la Chambre criminelle affirme au contraire que l’appel, s’il est irrecevable, n’est pas pour autant dépourvu d’effet.

Elle indique en substance que cet appel, interjeté hors-délai et donc insusceptible de saisir la chambre de l’instruction, saisit pour autant le président de cette juridiction, chargé d’en prononcer la non-admission en application de l’article 186, dernier alinéa.

Ce n’est donc qu’une fois cette ordonnance rendue (celle-ci étant insusceptible de recours sauf excès de pouvoir) que la décision de mise en accusation devient définitive et que le délai d’un an commence à courir :

« Le délai de comparution d'un an de l'accusé (…) n'a commencé à courir qu'à compter de la date à laquelle l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction du 31 janvier 2023, ayant déclaré non-admis son appel de l'ordonnance de mise en accusation, était devenue définitive. »

Il convient ainsi de retenir que l’appel de l’ordonnance de mise en accusation, dès lors qu’il est valablement formé au greffe de la juridiction ou de l’établissement pénitentiaire, saisit la juridiction du second degré et empêche le délai d’un an de courir.

En cas d’appel tardif, l’article 186 prévoit que l’irrecevabilité est constatée d’office par le président de la chambre de l’instruction.

Ce n’est qu’une fois cette irrecevabilité constatée par ordonnance que la mise en accusation acquiert, enfin, un caractère définitif.

L'accusé subit donc un double effet pervers, puisque cet appel hors-délai le prive à la fois d'un débat sur le bien-fondé de la décision de mise en accusation et du bénéfice du délai plafond de détention provisoire.

Une telle solution peut apparaître surprenante en ce qu'elle applique à la personne dont la mise en accusation n'est pas réexaminée en appel le même délai de détention provisoire qu'à celle qui bénéficiera d'un tel réexamen.

Cette solution semble cependant logique dès lors que le texte ne prévoit pas une irrecevabilité de plein droit. Elle se place de surcroît dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle de la Chambre criminelle, qui différencie :

  • D’une part la déclaration d’appel qui ne satisfait pas aux exigences des articles 502 et 503 du code de procédure pénale. Ainsi de la mention « je fais appel », désormais bien connue en jurisprudence, sur un document non-signé par le greffe : cette déclaration ne saisit pas la Chambre de l’instruction (Crim. 22 novembre 2022, n°22-85.127).
  • D’autre part la déclaration d’appel répondant aux exigences de ces textes mais régularisée hors délai. Un tel appel, régulier en la forme, saisit la juridiction qui doit le déclarer irrecevable.

De la même façon, un arrêt rendu en début d’année (cette fois à propos de l’appel d’un jugement correctionnel) affirme que « le prévenu peut rétracter son désistement d'appel tant qu'il n'a pas été judiciairement constaté » (Crim. 17 janvier 2024, n°23-80.613). Ainsi, tant que cette constatation judiciaire n’est pas intervenue, l’appel est réputé maintenu.

Il faut déduire de ces différentes solutions que l’appel régulièrement formé produit immédiatement des effets que son caractère irrecevable ou le désistement postérieur de son auteur ne suffisent pas, par eux-mêmes, à faire cesser.

Il appartient donc à la défense de mesurer la portée de l’appel qu’elle envisage d’interjeter, celui-ci ayant, comme le démontre la solution retenue par la Cour de cassation, des conséquences immédiates sur la liberté de la personne poursuivie.